Baethril s’était rendu au milieu de la nuit au cercle clanique du clan.Les étoiles illuminaient le ciel et l’obscurité avait pleinement pris possession de la sapinière qui entourait les menhirs du cercle. En s’approchant du lieu sacré, Baethril aperçut la silhouette de l’Ancien qui l’attendait, encapuchonné et bras croisés. Il eut l’impression en pénétrant dans le cercle que des regards se posaient sur lui. Il sentit un frisson glacial lui parcourir l’échine en pensant qu’il puisse s’agir d’esprits ou des Ancêtres du clan.
- Approche, guerrier, et montre du respect à ce lieu sacré en gardant le silence, lui ordonna l’Ancien d’une voix rauque.
Baethril se contenta d’obéir sans broncher, il ignorait comment se présenter face à ce vénérable nain. Garder le silence l’arrangeait beaucoup pour éviter de commettre une bourde.
L’Ancien s’approcha de Baethril et posa une main sur son épaule, le fixant droit dans les yeux – comme s’il le jugeait du regard – avant de lui plaquer contre son torse une coupe avec une mixture fraichement préparée à l’intérieur.
- Tu sais pourquoi tu es là. Toi, tout comme de nombreux valeureux nains qui t’ont précédés avez été choisis pour prouver votre force, votre sagesse et enfin votre courage. Ce soir, tu seras plongé dans les plus profonds abysses de tes propres ténèbres. Ce soir, tu affronteras tes démons. Des démons dont tu ignorais peut-être même l’existence. Tu te réveilleras fort d’esprit et avec la bénédiction d’Hymdir. Dans le cas contraire, tu deviendras fou, tu ne seras plus que l’ombre de toi-même et il est très probable que tu finisses par mourir, dit-il avec une relative indifférence.
- J’espère au moins que mes démons ne sont pas les naines en colères à qui j’ai promis mariage et marmouses, murmura Baethril dont les paroles étaient suffisamment étouffées par sa barbe pour que l’Ancien ne puisse les entendre clairement.
- Bois l’élixir quand tu seras prêt, dit l’Ancien pour conclure.
Baethril bût d’une traite le contenu de la coupe mais il avait dû se faire violence pour lutter contre l’envie de vomir ensuite. Il ferma les yeux puis il lâcha un juron, se promettant de suggérer à ce qu’on ajoute un peu de bière pour épargner un tel calvaire aux prochaines recrues.
Quand il estima que son estomac avait accepté de ne pas recracher la mixture, il rouvrit les yeux et contempla avec étonnement qu’il était couché sur son lit, dans le domaine familial des Cornefer.
La porte de sa chambre s’ouvrit avec fracas. Son frère, Bravagor, se tenait à l’entrée.
- Oh ! J’en étais sûr ! Tu as encore fini ivre hier soir, mon cognar ! Gronda son frère.
- Bravagor ? Mais qu’est-ce que tu fais ici et qu’est-ce que…
- Comment ça qu’est-ce que je fais ici ! Je viens te soulever de ton lit, ça doit bien faire une heure ou plus que les gars et moi on t’attend pour le début de la réunion, répondît son frère sans même lui laisser l’occasion de finir sa phrase. Allez ! Dépêche-toi de t’habiller ou sinon ta p’tite bonne femme va encore penser que tout est de ma faute !
Les pensées de Baethril se bousculèrent. Il ne comprenait pas ce qu’il se passait. Pourtant, il avait l’étrange sentiment que tout ceci était réel et qu’il avait effectivement un peu trop abusé sur la bière la veille.
***
Quand il arriva dans le hall principal, de nombreux nains et naines étaient là, discutant d’événements liés aux activités du clan Forgerage dont il n’arrivait pas à se remémorer mais qui semblaient familiers, malgré tout.
Il fût accueilli par une naine ravissante. Celle-ci avait une tresse blonde qui se terminait au niveau des hanches. Son pourpoint en cuir épousait parfaitement ses formes rondes et agréables à voir. Elle déposa un baiser sur les lèvres de Baethril.
- Te voilà enfin ! J’ai réussi à faire patienter les invités un peu trop impatients en prétextant que tu revenais de mission, lui dit-elle avec un sourire. N’oublie pas d’appuyer ton père lorsqu’il aura fini son discours.
Toujours avec le sentiment d’être dans un brouillard total, Baethril se contenta de suivre cette naine qu’il aimait sans même expliquer pourquoi. Il prît place sur une chaise derrière une table en bois massif, à la droite de son père, Balor. De l’autre côté était assis son frère aîné. La présence même de son père et l’absence de sa mère lui parût totalement normal.
Son père se leva lentement et balaya avec un regard autoritaire l’assemblée. Cela suffit à faire taire tout le monde.
- Comme vous le savez tous, les Scandefer ont décidé de ne pas répondre à l’invitation, ainsi que d’autres familles. Nous pouvons donc conclure qu’ils seront un obstacle à notre objectif final, mais certainement pas un énorme problème le moment venu, dit-il d’une voix ferme.
- Seigneur Cornefer, nous ne savons toujours pas comment vous comptez vous y prendre pour que le Thane accepte de vous céder son trône, dit une voix dans la foule.
- Rassurez-vous, j’ai pris mes dispositions. Si le Capitaine et l’Ancien refusent de donner suite à la requête commune de toutes nos familles pour destituer Arnskar de son titre, mon fils cadet, Baethril, s’occupera de leur forcer la main.
Comme poussé par une volonté qui n'était pas la sienne, Baethril se leva et prit la parole en affirmant devant l’assemblée qu’il utiliserait son statut pour que la rébellion ait accès aux quartiers des Forgerage, si nécessaire.
***
Les étoiles illuminaient le ciel. La nuit était tombée. Baethril se trouvait assis dans le hall familial en compagnie de son père, son frère et sa femme. Ils discutèrent de sa mission, de leur futur puis se rappelaient des moments de bonheur à travers des anecdotes et des histoires. Il eut le sentiment d’être bien, d’être aimé et surtout d’être à sa place.
***
Baethril était aux côtés d’Arnskar qui beuglait des ordres à ses gardes royaux afin de se préparer à un assaut dans la salle même du Thane. Eldrïd était là, se pinçant les lèvres et jurait à plusieurs reprises.
- Les traîtres ! Je vous l’avais bien dit, mon oncle, qu’ils n’allaient jamais acceptés cette décision ! Nous aurions dû punir quelques représentants des familles du clan pour l’exemple, grogna-t-elle.
- Je les tuerai tous de mes propres mains pour cette trahison, rassure-toi, jura Arnskar avec haine.
L’instant d’après, les portes de la salle du Thane cédèrent face aux béliers des rebelles. Aussitôt des combats commencèrent dans la salle. Les nains fidèles aux Forgerage combattaient avec fureur, décidés à protéger leur souverain au péril de leurs vies. Hildäna fût la première Forgerage à tomber au combat. La colère qui envahît Arnskar fût meurtrière. A lui seul, il emporta une centaine de guerriers nains rebelles avant de se retrouver à genoux, vaincu et tenu en joug par les lames des traîtres.
Eldrïd s’était repliée près du trône et constata avec effroi que même les gardes royaux avaient rendus les armes. Elle s’apprêtait à bondir sur les nains qui retenaient son oncle, quitte à mourir en guerrière, lorsque surgit Baloret lui lacéra les cuisses par derrière avant de la désarmer. Elle tomba au sol, impuissante au sort qui lui était réservée.
Bravagor regarda Baethril et lui tendit son poignard. Face à cette scène, les yeux d’Arnskar se remplirent de haine.
- C’était donc toi le traître dans nos rangs ! Raclure ! cria Arnskar
- A toi l’honneur, mon fils, de la tuer. Regarde bien, Arnskar ! Le dernier membre de ta lignée va s’éteindre devant tes yeux, tu ne pourras rien y faire et tu paieras ton insolence. Tu aurais dû te retirer lorsqu’il fût encore temps, dit Balor en souriant.
Baethril s’approcha d’Eldrïd, le poignard dans la main, prêt à lui porter le coup fatal. Contrairement à son oncle, Eldrïd mit du temps à réaliser qu'en face d'elle se tenait celui dont elle n'aurait jamais douté sa loyauté. Elle avait confiance en Baethril et ne s'attendait certainement pas à ce qu'il trahisse son clan.
- Baethril ! Par Hymdir, je te maudis, chien ! Je jure te retrouver au-delà de la mort et me venger ! Tu paieras de ton âme cette infâme traitrise, cria Arnskar de toutes ses forces.
- Assez perdu de temps, tue-la, mon fils, ordonna Balor.
Puis, ce fût un torrent d’ordres et de menaces qui s'enchainèrent à travers la salle destinés à Baethril. Mais à ce moment précis, cette situation se présenta à ses yeux comme deux portes dans un couloir. Il avait la possibilité d’ouvrir celle qui donnait, aux premiers regards, sur une voie qu’il connaissait ; celle de la déception, de l’exil et de la souffrance. Tandis que l’autre lui présentait quelque chose qu’il avait toujours souhaité ; l’amour de sa famille, faire la fierté de son père et un avenir où il était couvert de faits héroïques.
- Parjure ! Tu avais prêté serment ! Tu étais voué à être un nain digne et légendaire ! Au lieu de ça, ta trahison t’empêchera le moment venu d’être auprès des ancêtres, tu vas errer seul à travers la vallée, tel un exilé, dit Arnskar avec une voix dédoublée, suivi de Balor qui lui ordonnait de tuer la nièce du Thane.
Sur ces derniers mots, Baethril regarda à nouveau Arnskar puis Eldrïd et enfin son poignard. Il leva sa main lentement et se prépara à porter le coup fatal à la belliciste.
- Un nain se définit par sa parole et ses actions, ajouta-t-il, les larmes aux yeux, avant de détourner son coup mortel en direction de son père, sous l’aisselle, en direction du cœur. Il fixa son père qui se transforma en cendres ainsi que tout le reste autour de lui. Il avait vaincu sa plus grande peur : A force d’être vu et traité en paria, en parjure, par sa propre famille, il craignait qu’un jour – en dépit de se répéter le contraire depuis de longues années – de réaliser qu'il en était vraiment un. Il était terrifié de ne pas être un nain digne de ce nom et de céder à la plus grande des fautes pour un membre de son peuple ; celle de la trahison.